La place de la voiture en ville ?    
 

Présentation

Jeune urbaniste, toulousaine depuis plus de 2 ans (après avoir vécue 8 ans à Rennes), je m’interroge sur la place de la voiture à Toulouse et dans les agglomérations d'une manière générale; à la fois en tant que professionnelle de l’urbanisme, et en tant que citoyenne toulousaine.

J'ai alors choisi de travailler avec Radio Campus Toulouse afin d'élaborer un programme radiophonique qui traite de ma réflexion concernant la question des déplacements urbains à l'heure actuelle.

A travers une série d'interviews (habitants, élus, associations,...) et des extraits de documentaires, ce programme tente de dresser l'état des lieux des positions des différents acteurs urbains (en général et à Toulouse) concernant l'utilisation de la voiture en ville, la question des déplacements urbains, et plus largement, sur la prise de conscience en matière de développement durable plus globalement.




Partie 1 :
La problématique des déplacements urbains dans les villes du 21ème siècle, et plus particulièrement à Toulouse

a) Les limites du concept de la "ville-automobile"


Moins d'un Français sur trois possédait une voiture en 1960, plus de deux sur trois en 1980 et plus de quatre sur cinq depuis la fin des années quatre-vingt-dix.

La massification progressive de la production et de la consommation automobile s'est traduite par un mouvement continu d'occupation de l'espace public urbain au profit de l'automobile. Il faut se souvenir du célèbre mot de Georges Pompidou : « Il faut adapter les villes aux automobiles ». On peut alors parler du concept de la « ville-automobile », dont le point culminant a sans doute été atteint en France dans les années 70, quand les projets d'autoroutes urbaines devaient déboucher au cœur des agglomérations.

Le concept d'espace public se dilue alors dans celui de voirie, destinée à supporter les déplacements motorisés. Les espaces publics sont ainsi devenus essentiellement des lieux de transit ou de passage dans lesquels il n’est souvent même pas possible de s’arrêter; ils ont perdu leurs qualités d’accueil et de sociabilité.

La voiture, néanmoins, conserve une image positive dans l’esprit des gens. Elle est toujours considérée comme l’outil absolu de liberté au service de la mobilité.

Aujourd’hui, pourtant, nous savons qu’elle est une des sources importantes de pollution atmosphérique, qui engendre des problèmes à la fois en matière de santé publique, mais également, concernant l’aggravation de l’effet de serre. En effet, les transports participent à environ 35 %* aux émissions de CO², principal gaz à effet de serre contribuant au changement climatique. (*Source : ADEME, Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie)

Par ailleurs, l’utilisation massive de l’automobile se trouve au cœur de la problématique énergétique actuelle. En effet, nous savons que la tension entre la demande mondiale et la diminution des réserves pétrolières va nécessairement créer dans les prochaines années un choc pétrolier, ce qui ne sera pas sans conséquences concernant l’utilisation future de la voiture.

Plus largement, c’est la question du développement durable qui est posée. L’utilisation massive de l’automobile n’est pas compatible avec ses objectifs, qui sont, entre autre, de minimiser la consommation d’énergie et de ressources de sol.


b) L’exemple toulousain : une agglomération qui rompt difficilement avec ce concept de la « ville-automobile »

Alors que la plupart des grandes villes françaises enregistrent une baisse des déplacements automobiles grâce à une politique volontariste en faveur des transports en commun, des pistes cyclables et des espaces piétonniers, Toulouse prend le parti d’avoir une politique modeste dans ce domaine et réserve toujours une place importante de l’espace public aux automobilistes.

A titre de comparaison, pour l’année 2006: dans l’agglomération toulousaine, près de 80 % des déplacements s’effectuent en voiture particulière contre 60% pour l’agglomération rennaise. Autre chiffre clef, concernant les déplacements en transports en commun : ils représentent 8% pour l’agglomération toulousaine contre 14% pour l’agglomération rennaise. (Sources : Agenda 21 de la Ville de Toulouse, Plan de Déplacements Urbains de Rennes Métropole)

Ces chiffres sont bien évidemment à remettre en perspective par rapport aux contextes locaux, mais ils témoignent tout de même d'une politique plus ou moins volontariste en faveur des transports collectifs et des déplacements urbains "propres".

En raison de son dynamisme économique et de sa qualité de vie, l’agglomération toulousaine affiche l'une des croissances démographiques les plus importantes de France. Cela a pour conséquence une forte augmentation de nombre d’automobile présentes sur ce territoire : on compte chaque mois 1 200 voitures en plus. Ainsi, la voirie toulousaine se trouve régulièrement saturée, ceci est particulièrement flagrant sur la rocade.

Quel est donc l’avenir de l’agglomération toulousaine en matière de déplacements urbains? Sera t’elle capable de léguer aux futures générations une ville qui permette à l’ensemble de la population de se déplacer sans avoir recours systématiquement à la voiture ? Une ville qui prendra véritablement la voie d’un développement urbain plus respectueux de l’environnement...


c) Des acteurs toulousains partagés sur la question de « La place de la voiture en ville »

Dans le but d’avoir une vision globale des différents points de vue toulousains concernant la question de la place de la voiture en ville, j'ai réalisé plusieurs microtrottoirs dans les rues de Toulouse.

Ainsi les toulousains semblent unanimes concernant la présence très forte de l’automobile dans l’espace public . Pour certains, ce constat ne les amène pas à remettre en cause leurs habitudes de déplacements, ils restent très attachés à l’utilisation de la voiture. Mais nombreux sont les toulousains qui souhaitent voir diminuer l’occupation de l’espace public par la voiture : pour des raisons de nuisances sonores, de pollution atmosphérique, et de difficultés de cohabitation entre la voiture et les autres modalités de transports (bus, piétons, cycles,...).

En effet, les conflits entre les différents utilisateurs de l’espace public toulousain sont de plus en plus nombreux. Il n’est pas rare de voir des voitures garées sur les voies de bus ou les pistes cyclables, des cyclistes qui roulent sur les trottoirs ou encore des piétons qui marchent sur la voirie,...

Ces difficultés ont amené la Mairie de Toulouse à réaliser une campagne de communication concernant la sécurité routière, afin « d’apprendre (aux toulousains) à mieux partager la ville avec respect et responsabilité », selon le Code de la Rue édité par la mairie. Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, explique qu’« Il n’est pas question de pointer un usager du doigt, mais de stigmatiser des comportements. Tout le monde est le chauffard de quelqu’un ».

Toutefois, cette campagne qui vise l’ensemble des usagers de l’espace public (automobilistes, piétons, cyclistes, etc...), a été diversement appréciée.
Mettre sur un pied d’égalité les automobilistes et les cyclistes n’a pas forcément été très bien perçu, étant donné les différences de traitement en matière d’aménagement urbain entre les espaces dédiés à la voiture et ceux dédiés aux vélos.

Il semble donc que la question de la place de la voiture en ville, à Toulouse, divise les points de vue. C’est pourquoi, je suis allée interviewer différents acteurs locaux (politiques et associatif) impliqués sur la question des déplacements urbains :
Ces rencontres m’ont permis d’établir un état des lieux sur la question des déplacements urbains à Toulouse, de confronter les points de vue à ce sujet, et d’établir quelques pistes d’action pour l’avenir de l’agglomération toulousaine, qui soient en cohérence avec le concept de développement durable.



Partie 2 :
La politique Toulousaine : un parti pris en faveur de l’automobile qui ne fait pas l’unanimité

Toulouse affiche depuis longtemps une politique modeste dans le domaine des déplacements urbains, et réserve une place importante de l’espace public aux automobilistes.

Nous l’avons vu, environs 77% des déplacements dans l’agglomération toulousaine s’effectuent en voiture (Source : Agenda 21 de la Ville de Toulouse). Dans la banlieue, qui concentre le développement urbain, seul 3% des déplacements se font en transport en commun. En effet, le modèle du développement pavillonnaire qui caractérise l’urbanisation de la banlieue toulousaine ne favorise pas la limitation de l’utilisation de l’automobile. Du fait de l’attraction toulousaine, on compte chaque année 12 000 voitures en plus par an. En conséquence, la rocade est complètement saturée le matin et le soir.

A l'échelle de la ville, il n’existe pas d’espaces strictement piétonniers, au mieux, des rues semi-piétonnes (cf. rue du Taur, rue St Rome).
Les pistes cyclables présentes dans la ville, ne constituent pas un réseau structuré, cohérent et sécurisé pour les cyclistes, qui paradoxalement sont de plus en plus nombreux à Toulouse.

Le réseau de bus manque également d'efficacité. Les bus circulent pour l'essentiel sur les voies qu'empruntent les automobilistes, ils sont donc "englués" dans la circulation générale. D'autre part, ces bus ne desservent pas certains bassins d’emploi, comme c’est le cas au nord-ouest et au sud-est de l’agglomération.

En raison de ces constats, la Ville de Toulouse a entrepris une réflexion globale en matière de développement durable avec la mise en place de l'Agenda 21 pour lequel les toulousains ont été consultés. Elle semble aujourd’hui afficher sa volonté en faveur d’un rééquilibrage entre les différents utilisateurs de l’espace public. En juin 2007, nous verrons ainsi s’ouvrir une seconde ligne de métro, se développer en centre-ville un système de Vélo Stations (comme il en existe à Lyon), une réorganisation du réseau de bus en faveur des quartiers et le réaménagement de certains axes clefs du centre-ville telle que la rue Alsace Lorraine.

Toutefois, la mairie de Toulouse souhaite également la construction d’une seconde rocade pour désengorger la première. Se pose alors la question de la véritable efficacité de ce type d'infrastructure : ne serait-ce pas un appel aux automobilistes pour utiliser encore plus systématiquement leur voiture?

Si l’on regarde le succès que remporte le développement important des liaisons TER en Midi-Pyrénées auprès de personnes habituées à prendre leur voiture pour aller travailler, il est certainement possible de faire changer les habitudes d’autres automobilistes en élargissant l’offre en transports collectifs. Il s’agit peut-être là d’une première réponse à la question de la saturation de la rocade.

De plus, s’engager dans la voie du développement durable nécessite une réflexion sur les déplacements en interaction avec une réflexion sur l’urbanisme, or la ville de Toulouse se caractérise par un étalement urbain qui appelle nécessairement à utiliser sa voiture pour se déplacer.

Ainsi, qu'en est-il réellement de la prise de conscience de la mairie de Toulouse concernant la question des déplacements urbains, et plus globalement en matière de développement durable? Ne faudrait-il pas une politique plus volontariste dans ce domaine qui viserait à mettre en place un réseau de transports en commun suffisamment performant pour concurrencer l’utilisation de l’automobile? L’agglomération toulousaine sera t’elle en mesure de léguer aux futures générations un cadre de vie qui permette à l’ensemble de la population de se déplacer sans avoir recours systématiquement à la voiture ?

Afin de réduire significativement les kilomètres parcourus en voiture à l'échelle des agglomérations, il semble nécessaire de développer une logique de régulation qui inclut au moins les trois éléments suivants : l’évolution des mentalités de l'ensemble des citoyens en matière de déplacements urbains, le rééquilibrage de l’utilisation de l’espace public en faveur des modalités de transports « douces », et enfin, une forte articulation entre politique d'urbanisme et politique de transports à l'échelle des bassins de vie.



Partie 3 :
Les perspectives d’avenir en matière de déplacements urbains dans le cadre d’un urbanisme « durable »

a) De l’évolution nécessaire des mentalités en matière de déplacements urbains chez les politiques et les citoyens.


La consommation de masse de l'automobile « a marqué durablement la société française, les comportements de ses habitants et les structures de ses cités », explique Jean-Marc Offner, directeur du Laboratoire « Techniques, territoires et sociétés » (Laboratoire CNRS / Université Paris-XII / École nationale des ponts et chaussées / Université de Marne-la-Vallée).
Ainsi, la "ville-automobile" que nous connaissons aujourd’hui découle d'un choix politique conditionné en partie par la "peur" de la sanction de l'électorat.
D'autre part, ce choix politique est lié aux pressions économiques exercées par les multinationales du pétrole, les constructeurs d'automobiles, les transporteurs routiers et l'appareil spectaculaire marchand (médias, publicité, marketing,etc).

Une question clé est de savoir si l'on souhaite limiter la place de l'automobile dans nos agglomérations. Cette question dépasse largement les aspects technico-environnementaux (pollution, nuisances, coûts, etc.) : elle concerne un choix de société.

Ainsi, dans quelle mesure sommes-nous prêts, politiques et cityens, à faire évoluer nos habitudes de déplacements, et plus globalement nos habitudes de vie? La réponse à cette question de la place accordée à l'automobile est lourde de conséquences quant aux décisions de planification urbaine.

b) préconiser un rééquilibrage en faveur des transports en commun et des circulations "douces"

Notre société affecte plus de 80% de l'espace public à la circulation automobile et au stationnement des voitures, c'est-à-dire à un mode de déplacement individuel dont le taux d'occupation moyen ne dépasse pas 1,2 personne par automobile en agglomération. Or, il est désormais admis que toute augmentation de l'offre d'espace automobile se traduit pas une augmentation de la circulation automobile, qui génère rapidement des congestions et nécessite donc de nouvelles voies de circulation pour les voitures.

A titre de comparaison, l'autobus transporte 50 fois plus de personne qu'une automobile, et est jusqu'à 20 fois moins polluant. Le métro, pour sa part, n'émet aucun polluant et peut transporter jusqu'à 1000 personnes. Un rééquilibrage de l'occupation de l'espace public en faveur des transports en commun (bus, tramway, métro,...) et des circulations "douces" (cycles et piétons) apparaît donc comme nécessaire dans nos villes.

Plusieurs villes Françaises témoignent d'une vraie volonté dans ce sens. C'est le cas par exemple de Lyon, qui s'est distinguée récemment avec les Vélo-Stations. Il s'agit de parcs de vélos en libre-service et gratuits (ou à coût symbolique) répartis sur l'ensemble du territoire lyonnais. Ce type de mesure permet de banaliser la présence et l’usage du vélo en ville : chacun peut prendre un vélo n’importe où dans la ville et le déposer dans n’importe quelle station une fois son déplacement terminé. L’expérience de la ville de Lyon dans ce domaine semble confirmer le fait que ce service répond à une véritable attente de la part de la population. En quelques mois de service, les quelques milliers de vélos mis à disposition des lyonnais ont rencontré un véritable engouement.

Cette expérience lyonnaise montre qu'il est possible de promouvoir les transports en communs et les circulations "douces" auprès des citadins, s'il existe une forte volonté politique de la part de la municipalité en place.


c) Développer une réflexion globale qui lie déplacements urbains et urbanisme

Les déplacements urbains et l'urbanisation sont deux domaines de réflexions et d'actions liés l'un à l'autre.

En effet, on constate que l'usage de l'automobile dans les agglomérations est d'autant plus important que les villes sont étalées.
L'étalement urbain est une expression qui désigne le phénomène de développement des surfaces urbanisées en périphérie des grandes villes.
Cet étalement, qui est lié au développement démographique des agglomérations, se fait avec une densité du bâti d'autant plus faible que l'on s'éloigne du cœur des villes.
Une faible densité urbaine est due au caractère pavillonnaire de son urbanisation - la surface occupée par un foyer (maison + jardin privatif) étant plus importante que celle d'un appartement en immeuble - ainsi qu'à l'importance des espaces naturels conservés dans les communes concernées.

D'autre part, la séparation des fonctions (habitat, commerces, services, emplois...) dans le tissu urbain , corollaire des extensions urbaine de faible densité, est également responsable de la place accrue de l'automobile dans les déplacements. La desserte en transports en commun de zones uni-fonctionnelles (zones commerciales, par exemple) ne sera jamais suffisante pour être attractive vis-à-vis de l'automobile. Or, une large part des urbanisations récentes consiste en des délocalisations d'équipements ou de lieux d'activités, autrefois localisés dans des secteurs plus denses et mieux desservis en transports en commun. Ces nouvelles localisations sont une concurrence à celles qui restent en centre-ville.
Par ailleurs, précisons que ce type d'urbanisme est également une forme d'exlusion sociale par rapport aux personnes non-motorisées.

Or, aujourd'hui, à l'heure de la prise de conscience en faveur d'un développement dit "durable", le modèle la ville "diffuse" est remis en question en raison du coût social, énergétique et spatial de son développement étalé.
La conjonction d’enjeux environnementaux globaux (cf. contribution des transports au réchauffement climatique) et d’enjeux sociaux conduit à « reconcevoir » l’organisation des villes, en privilégiant la densité et le transport collectif au détriment des espaces périphériques et de la mobilité automobile. Il s’agit alors de reconstruire la ville sur elle-même, de combler les interstices des espaces urbains, de recréer du lien social : c'est l'émergence du modèle de la ville "compacte".

Afin d'aider les collectivités locales à s'engager dans un processus de planification du développement urbain durable, différentes lois se sont succédées depuis le milieu des années 1990 : loi sur l’air de 1996, qui fixe aux Plans de Déplacements Urbains la nécessité de réduire le transport automobile individuel et de partager la voirie avec les autres modes de développement ; loi de 1999 sur l’Aménagement Durable du Territoire, qui incite les acteurs locaux à s’engager dans des plans d’aménagement durable du territoire ; loi sur la Solidarité et le Renouvellement Urbain (2000), qui prône la mixité sociale et fonctionnelle des espaces urbains.

Au delà du cadre juridique, la question est de savoir dans quelle mesure les pratiques et les méthodes en matière de déplacements urbains et d'urbanisme vont véritablement évoluer? Et d'autre part, quelle sera la perception des citoyens concernant l'évolution de leur cadre de vie, ces citoyens à qui l’on demande de s’impliquer de plus en plus dans le débat sur la ville?




Rédaction : Annietha Gastard
Réalisation et montage du programme radiophonique "La place de la voiture en ville" : Annietha Gastard et Christophe Giffard
 

Ce programme est également en diffusion sur Radio Campus Toulouse

http://www.radiocampustoulouse.com/

http://www.radiocampustoulouse.com/voiture_ville.html



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